Le but et la finalité de l’impôt sur les donations immobilières consistent-ils à engranger un maximum de recettes fiscales ?
Dans un arrêt du 25 avril 2025, la Cour de cassation clarifie la notion d’abus fiscal. Le point de départ était un dossier portant sur une donation d’immeubles, précédée d’un apport dans un patrimoine commun interne. Vous trouverez ci-dessous l’analyse de l’arrêt.
Résumé de l’affaire
M. H., marié à Mme V., possède plusieurs biens immobiliers de rapport. En raison d’un changement dans leur régime matrimonial, et après le diagnostic d’une maladie grave en 2012, M. H. a apporté, le 29 juillet 2018, des biens immobiliers à un patrimoine commun ou PCIA (patrimoine commun interne adjoint) lié à leur régime de séparation de biens. Le 11 mars 2019, les époux ont fait donation de la nue-propriété de la majorité de ces biens à leurs deux enfants, pour une valeur estimée à 1.000.000 EUR dans l’acte de donation.
Après l’enregistrement de l’acte, l’administration fiscale flamande (VLABEL) a suspecté un abus fiscal. Le notaire a été invité à justifier les motifs non fiscaux de l’opération. Il a indiqué que la motivation principale de l’apport était la volonté de M. H. de protéger son épouse en l’associant à la propriété des biens, en raison de sa santé déclinante.
VLABEL n’a pas accepté ces motifs non fiscaux. Pour elle, l’apport au PCIA n’avait pour but que de réduire artificiellement les droits de donation. Résultat : la donation a été taxée comme si l’apport n’avait pas eu lieu. Conséquence : une taxation totale de 126.000 EUR au lieu de 54.000 EUR.
Économie d’impôt grâce à l’apport dans la communauté matrimoniale
L’écart de 72.000 EUR entre l’impôt escompté et celui effectivement dû est significatif. Comment un apport immobilier avant une donation peut-il réduire autant l’impôt ? Il faut savoir que les droits de donation sur les biens immobiliers en Flandre sont progressifs, même en ligne directe, et atteignent 27 % à partir de 450.000 EUR (article 2.8.4.0.1 du Code flamand de la fiscalité – Vlaamse Codex Fiscaliteit ou VCF).
Sans l’apport, M. H. aurait donné pour 1.000.000 EUR de biens à ses deux enfants, soit 500.000 EUR chacun, avec une taxe de 63.000 EUR par bénéficiaire (soit 126.000 EUR).
Avec l’apport au PCIA, les époux H-V ont chacun donné 250.000 EUR à chaque enfant. Résultat : chaque bénéficiaire a payé 27.000 EUR, soit 54.000 EUR au total.
L’abus fiscal analysé : question centrale et précédents
Le contribuable abuse-t-il s’il suit cette méthode ? Il y a abus fiscal si une opération ou un ensemble d’opérations vise à contourner les objectifs du VCF ou à bénéficier indûment d’un avantage fiscal (art. 3.17.0.0.2 VCF). Si l’administration démontre un abus, le contribuable peut prouver l’existence de motifs non fiscaux prépondérants.
Dans cette affaire, la question est de savoir si les objectifs des tarifs progressifs visés à l’article 2.8.4.0.1 VCF sont violés par l’apport préalable au PCIA.
Pour la cour d’appel de Gand, il ne faisait aucun doute que l’objectif du décret était de taxer progressivement les donations immobilières. En apportant les biens au PCIA avant la donation, cette progressivité est atténuée – ce qui va à l’encontre de l’objectif législatif.
L’avis de la Cour de cassation
Le contribuable a introduit un pourvoi en cassation, contestant que l’objectif de la loi ait été violé. Il contestait aussi qu’il y ait abus, n’ayant pas effectué lui-même tous les actes.
i. L’abus fiscal coopératif reconnu
Comme indiqué précédemment, il y a abus fiscal lorsque « le contribuable, par l’acte juridique qu’il accomplit ou l’ensemble des actes juridiques qu’il accomplit, contrevient aux objectifs du VCF». Or, dans notre affaire, il est question d’un ensemble d’actes juridiques, à savoir un apport dans le patrimoine commun, suivi d’une donation. Il convient de noter que le contribuable en matière de droits de donation est le donataire (dans le cas présent, les enfants du couple H-V). Évidemment, ce contribuable n’a pas réalisé l’apport au patrimoine commun : il s’agissait des parents, en tant que donateurs. En résumé, la question du caractère abusif de l’ensemble des actes juridiques posés semble ici sans objet, étant donné que le contribuable n’a pas réalisé tous les actes juridiques concernés.
Ces dernières années, cette argumentation a été remise en question. Dans un arrêt rendu début 2024, la Cour de cassation a ramené l’affaire à son essence : en présence d’un ensemble d’actes juridiques, une unité d’intention doit exister pour pouvoir conclure à un abus fiscal, sans qu’il soit nécessaire que le même contribuable ait accompli chacun de ces actes de manière individuelle.
Le critère de l’unité d’intention a été confirmé dans l’arrêt du 25 avril 2025 que nous commentons ici, avec en outre les mêmes considérations relatives au rôle du contribuable. Ainsi, le VCF permet désormais de reconnaître un « abus fiscal coopératif » : le contribuable peut, dans l’ensemble des actes juridiques, être assisté par des tiers qui réalisent eux-mêmes certains actes dans la chaîne juridique concernée. Cela n’enlève en rien à l’administration fiscale la possibilité de conclure à un abus fiscal.
Mais quand peut-on parler d’unité d’intention ?
Dans l’affaire qui nous occupe, la Cour d’appel a estimé que l’unité d’intention était établie sur la base de deux éléments :
- la longue période écoulée entre l’acquisition des biens par le mari et leur apport dans le patrimoine commun
- la période relativement courte (9 mois) entre cet apport et la donation. L’unité d’intention aurait en outre été « reconnue » par les contribuables eux-mêmes, dans la mesure où, au cours de la phase de réclamation, ils ont indiqué à VLABEL que l’apport et la donation avaient été motivés par l’état de santé du père (!).
Une attitude critique reste cependant de mise. En effet : le donataire (qui est le contribuable), n’a joué aucun rôle significatif dans l’apport au patrimoine commun. Le constat d’un abus fiscal ne prive pas de la possibilité d’invoquer des motifs non fiscaux décisifs. Dès lors, une question essentielle se pose : comment le contribuable (donataire) peut-il avancer des motifs non fiscaux pour un acte juridique qu’il n’a pas posé, à savoir l’apport préalable dans le patrimoine commun ?
ii. Les objectifs de la donation immobilière flamande
Il convient ensuite de se demander si le contribuable, en procédant à un ensemble d’actes juridiques consistant à apporter des biens immobiliers dans le patrimoine commun suivi d’une donation, contrevient ou non aux objectifs de l’impôt flamand sur les donations immobilières, tels que définis à l’article 2.8.4.0.1 du VCF.
La Cour de cassation a exprimé de manière non équivoque les objectifs de l’article 2.8.4.0.1 du VCF, en affirmant que « Le texte légal, et en particulier les tableaux mentionnés, montrent suffisamment clairement que l’objectif de cet article est d’instaurer des tarifs progressifs pour la donation de biens immobiliers. »
Ainsi, l’objectif de la loi ressort directement de son texte, comme l’a également confirmé la cour d’appel.
Cette décision de la Cour nous amène à nous interroger sur la compatibilité entre la notion d’abus fiscal et le droit du contribuable de choisir la voie la moins imposée. Ce dernier principe avait pourtant été explicitement reconnu lors de l’introduction de la disposition fédérale anti-abus. L’arme dont dispose le fisc pour lutter contre l’abus fiscal ne supprime donc pas le droit de choisir la voie la moins taxée, dans la mesure où cette voie ne contrevient pas aux objectifs de la loi fiscale.
Or, en considérant que la progressivité de l’impôt sur les donations est un objectif inhérent, il semble, à première vue, qu’il reste peu de marge pour organiser des opérations menant à la voie la moins taxée.
La Cour de cassation a jugé que les objectifs de l’impôt sur les donations immobilières ressortent clairement du texte même du décret. Le législateur a voulu introduire des tarifs progressifs. Il est donc illicite, en amont d’une donation immobilière, d’apporter ces biens dans un patrimoine commun dans le but spécifique d’atténuer la progressivité de l’impôt sur la donation ultérieure. Dans un tel cas, il y a abus fiscal.
Qui dit A doit dire B : l’objectif et la portée de l’impôt progressif sur les donations immobilières dans le VCF semblent donc bel et bien viser à maximiser les recettes fiscales.
L’importance du facteur temps
Vous avez peut-être entendu dire que le risque d’abus fiscal peut être évité en laissant suffisamment de temps entre l’apport dans le patrimoine commun et la donation.
Dans la pratique des rulings de VLABEL, il semble effectivement que le laps de temps entre l’apport et la donation soit un facteur important, laissant ainsi une certaine marge de manœuvre. Toutefois, chaque dossier reste bien entendu unique. Ainsi, une période de 3 ans (décision anticipée n° 22023) a par exemple été jugée suffisante par le fisc flamand pour ne pas conclure à un abus fiscal. Une période de 2 ans a également été considérée comme suffisante dans la décision anticipée n° 22032. Il est donc impossible d’en déduire une règle générale.
Conclusion
Vous envisagez de faire une donation immobilière ? À condition de bien étayer le dossier, il est encore envisageable, selon nous, de procéder au préalable à un apport dans le patrimoine commun. Bien entendu, nous sommes à votre disposition pour vous conseiller et vous accompagner.
Il peut également être opportun de demander une décision anticipée (ruling) auprès de l’administration fiscale flamande afin d’obtenir une sécurité juridique quant aux conséquences fiscales. À défaut, vous pourriez, comme dans l’affaire évoquée, faire face à une taxation de VLABEL à laquelle vous ne vous attendiez pas. Fortifiée par l’arrêt de notre plus haute juridiction, il est probable que l’administration fiscale flamande recoure plus fréquemment à cette approche à l’avenir.

