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Les administrateurs, les sous-traitants et les salariés dans le collimateur avec la nouvelle partie du Code civil

Vendredi 22/03/2024

Le 1er février 2024, le texte du Livre 6 du Code civil (Livre 6 C.civ.) a été adopté. Cette nouvelle loi se concentre sur la responsabilité extracontractuelle et élargit la responsabilité des auxiliaires, tels que les administrateurs, les sous-traitants et les salariés. Cet article examine l'impact de cet élargissement et fait remarquer que le législateur prévoit toujours certaines possibilités de protection pour les auxiliaires.

Le 1er février 2024, le texte du Livre 6 du Code civil (ci-après « Livre 6 C. civ. ») a été adopté en séance plénière de la Chambre des représentants. Le projet de loi initial du Livre 6 du Code civil date du 8 mars 2023.

Le Livre 6 C. civ. est consacré à la responsabilité extracontractuelle. Il remplace donc les fameux articles 1382 à 1386bis de l'ancien Code civil.

La grande controverse réside ici dans un élargissement de la responsabilité extracontractuelle des auxiliaires. Une partie lésée pourra désormais choisir entre une action contractuelle contre son contractant et une action extracontractuelle contre l’auxiliaire de celui-ci. Cela met fin à la quasi-immunité des auxiliaires.

La nouvelle législation a donc un impact particulier sur la responsabilité des administrateurs, des sous-traitants et des salariés, qui sont des exemples types d’auxiliaires. Ainsi, les administrateurs pourront être directement poursuivis sur une base extracontractuelle par les parties contractantes de la société gérée.

Dans cet article, nous examinerons brièvement cette responsabilité extracontractuelle élargie des auxiliaires, et nous démontrerons que le législateur laisse heureusement encore quelques options pour protéger les auxiliaires.

Quels auxiliaires ?

Selon la Cour de Cassation (Cass. 12 mars 2020, RW 2020-21, n° 21, 81), un auxiliaire désigne une personne physique ou morale « chargée par le débiteur d'une obligation contractuelle d’exécuter tout ou partie de cette obligation, et ce, qu’il exécute cette obligation pour son propre compte et en son nom ou pour le compte et au nom du débiteur ».

Toutefois, n'est pas auxiliaire celui qui ne fait que réunir les conditions matérielles permettant au débiteur d'exécuter ses obligations ou qui ne fait que fournir des moyens auxiliaires à cette fin (Cass. 7 février 2020, RGAR 2020, 15.719).

Ainsi, les administrateurs de sociétés, les représentants, les sous-traitants et les salariés, entre autres, peuvent donc être considérés comme des auxiliaires.

Quel changement le Livre 6 C. civ. implique-t-il pour les auxiliaires ?

Les auxiliaires sont désormais visés à l'art. 6.3, § 2 C. civ. En particulier, l'article approuvé dispose que :

  • § 2. Sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement, les dispositions légales en matière de responsabilité extracontractuelle sont applicables entre la personne lésée et l’auxiliaire de ses cocontractants.
  • Toutefois, si, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle, la personne lésée demande à l’auxiliaire de son cocontractant la réparation d’un dommage causé par l’inexécution d’une obligation contractuelle, ce dernier peut invoquer les mêmes moyens de défense que son donneur d’ordre peut invoquer sur la base du paragraphe 1er et qui concernent l’exécution des obligations auxquelles l’auxiliaire collabore.
  • L’auxiliaire peut également invoquer les moyens de défense qu’il peut lui-même invoquer contre son cocontractant sur la base du paragraphe 1er.

Concrètement, cela signifie qu’une personne lésée (la victime d'une faute) ne pourra plus se tourner uniquement vers son contractant, mais également vers l'auxiliaire de son contractant, pour obtenir réparation de son préjudice.

Le Livre 6 C. civ. s’efforce de trouver un équilibre entre la liberté d'agir et d'entreprendre qui doit permettre aux opérateurs économiques de mener leurs activités, d’une part, et le droit à la sécurité qui doit permettre à la victime d'obtenir réparation du dommage qu’elle a subi, d’autre part (EdM, projet de loi portant le livre 6 « Responsabilité extracontractuelle » du Code civil, Doc. parl. 2022-2023, n° 3213/001, 5).

Ainsi, avec le nouveau Livre 6 C. civ., le législateur a délibérément mis fin à la quasi-immunité des auxiliaires, telle qu'elle existe actuellement (EdM, projet de loi portant le Livre 6 « Responsabilité extracontractuelle » du Code civil, Doc. parl. 2022-2023, n° 3213/001, 32). En plus de critiquer les fondements technico-juridiques de la quasi-immunité, le législateur a également estimé que cette quasi-immunité était, dans certains cas, manifestement déraisonnable à l'égard d'une partie lésée. On pensait notamment à cet égard à un chantier de construction où un sous-traitant commet des fautes dans l'exécution des travaux, mais où c’est l'entrepreneur principal qui fait faillite. Dans cette situation, le maître d'ouvrage n'a de contrat qu'avec l'entrepreneur principal en faillite et ne pourrait donc pas, en l'état actuel du droit, se retourner contre le sous-traitant qui a commis les fautes, sauf quelques exceptions très limitées (EdM, projet de loi portant le Livre 6 « Responsabilité extracontractuelle » du Code civil, Doc. parl. 2022-2023, n° 3213/001, 32-33).

Alors que jusqu'à présent, les auxiliaires ne pouvaient être poursuivis que si la faute qui leur est reprochée est un délit ou constitue une violation non seulement de l'obligation contractuelle, mais aussi du devoir général de diligence qui leur incombe et si cette faute a causé un dommage qui n'est pas imputable à une mauvaise exécution (Cass. 12 mars 2020, RW 2020-21, n° 21, 81), cela ne sera plus le cas à partir de l'entrée en vigueur du Livre 6 (cf. infra).

La question se pose de savoir dans quelle mesure il convient de s’en tenir à une lecture stricte de l’article 6.3, § 2 C. Civ. - « entre la personne lésée et l'auxiliaire de ses cocontractants ». Une lecture stricte pourrait conduire à ce qu'une personne lésée ne puisse se retourner que contre l'auxiliaire direct de son cocontractant et non contre l'auxiliaire de l’auxiliaire. Les préparatifs de la loi ne clarifient pas ce point. Selon certains, la situation dans laquelle un entrepreneur principal fait appel à un sous-traitant, qui fait à son tour appel à un (sous-)sous-traitant, est bel et bien réglée par le Livre 6 du Code civil. Ainsi, alors que jusqu'à présent, la personne lésée s'adressait à l’entrepreneur principal, qui disposait ensuite d'une action récursoire contre le sous-traitant, qui disposait à son tour d'une action récursoire contre le (sous-)sous-traitant, la personne lésée pourra désormais directement s'adresser au contractant qui a commis la faute proprement dite, ce qui, dans la pratique, devrait entraîner une diminution du nombre d’actions (I. Samoy et S. Van Eerkert, « De terechte afschaffing van het samenloopverbod en de leer van de quasi-immuniteit van de hulppersoon: ander en beter », RW 2023-24, n° 11, 440).

Les administrateurs de sociétés, les sous-traitants, les représentants, les salariés, etc. pourront ainsi être poursuivis directement sur une base extracontractuelle par une personne lésée avec laquelle ils n'ont pour ainsi dire pas de contrat.

Ainsi, un administrateur qui décide de ne pas exécuter une obligation contractuelle de la société gérée, un sous-traitant qui commet une faute dans l'exécution des travaux qui lui sont confiés, ou un salarié qui commet une faute légère courante dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, pourront être poursuivis directement par la partie lésée.

Cette disposition prévoit toutefois que les auxiliaires peuvent invoquer à l'encontre de la personne lésée les mêmes moyens de défense que leur donneur d’ordre. En effet, le législateur a jugé raisonnable que l'on ne puisse pas exercer plus de droits contre l'auxiliaire que contre le donneur d’ordre, et que l’auxiliaire ne soit pas tenu au-delà de ce à quoi son donneur d’ordre serait tenu (EdM, projet de loi portant le Livre 6 « Responsabilité extracontractuelle » du Code civil, Doc. parl. 2022-2023, n° 3213/001, 34).

Les moyens de défense que les auxiliaires peuvent ainsi invoquer comprennent en premier lieu les moyens de défense découlant du contrat du donneur d’ordre avec la personne lésée, qui deviennent ainsi opposables. Pour information, l'art. 5.89 C. civ. prévoyait déjà que les auxiliaires peuvent invoquer la clause exonératoire de responsabilité prévue dans le contrat entre la personne lésée et le donneur d’ordre.

Les auxiliaires peuvent également faire valoir les moyens de défense découlant de la législation en matière de contrats spéciaux et des règles particulières de prescription applicables au contrat. Il suffit de penser aux limites prévues par le CSA en matière de responsabilité des administrateurs.

Pour les dommages résultant d'une atteinte à l'intégrité physique ou psychique ou d'une faute commise avec l'intention de causer un dommage, les moyens de défense ne peuvent en revanche pas être invoqués (art. 6.3, § 1er C. civ.).

Initialement, le projet de loi ne prévoyait pas qu'un auxiliaire puisse invoquer à l'encontre de la personne lésée les moyens de défense que l'auxiliaire peut invoquer à l'encontre de son donneur d’ordre. Une limitation de responsabilité en vertu du contrat entre l'auxiliaire et son donneur d’ordre ne pouvait pas, dans un premier temps, être opposée au tiers lésé. Lors de la publication du projet de loi initial, cette disposition a été immédiatement critiquée, car cela signifiait un élargissement considérable de la responsabilité des auxiliaires.

Par amendement du 15 janvier 2024, le législateur a décidé que les moyens de défense découlant du contrat entre le donneur d’ordre et l'auxiliaire peuvent également être invoqués par ce dernier à l’encontre de la personne lésée (EdM, projet de loi portant le Livre 6 « Responsabilité extracontractuelle » du Code civil, Doc. parl. 2023-2024, n° 3213/010, 3). Là encore, les auxiliaires ne peuvent pas invoquer à l'encontre d'une personne lésée les limitations de responsabilité prévues par leur propre contrat avec leur donneur d’ordre s'il y a intention de causer un dommage ou de porter atteinte à l'intégrité physique ou psychique.

Il convient de noter que le Livre 6 C. civ. n'affecte pas l'application d'autres lois (art. 6.2 C. civ.). Ainsi, les salariés conservent leur limitation de responsabilité en vertu de l'article 18 de la loi relative aux contrats de travail (lex specialis). La règle selon laquelle les salariés ne peuvent être poursuivis par un client de leur employeur que pour une faute grave ou une faute légère habituelle est donc maintenue (art. 18 de la loi relative aux contrats de travail), mais le Livre 6 C. civ. garantit que, contrairement à ce qui se passait auparavant, les salariés peuvent être visés plus rapidement et plus souvent par une partie lésée maintenant que leur protection habituelle contre les tiers disparait.

À partir de quand le Livre 6 C. Civ. s'applique-t-il ?

La loi entrera en vigueur le premier jour du sixième mois suivant celui de sa publication au Moniteur belge. Il semblerait à cet égard que la date d'entrée en vigueur soit fixée au 1er janvier 2025, mais nous tenons bien entendu la date effective à l'œil pour vous.

Il importe d’ores et déjà de souligner que l'article 44 de la loi portant le Livre 6 « Responsabilité extracontractuelle » du Code civil prévoit que les dispositions de ce Livre 6 s'appliqueront aux faits survenus après l'entrée en vigueur de la loi.

Par conséquent, le Livre 6 ne s'applique pas aux conséquences futures de faits survenus avant l'entrée en vigueur de la loi.

L’accent étant mis sur les « faits », les nouvelles dispositions du Livre 6 C. civ. s’appliqueront également aux contrats existants. En effet, la loi applicable à la responsabilité extracontractuelle est la loi applicable au moment du fait générateur du dommage (T. Vancoppernolle, Intertemporeel recht, Intersentia, 2019, 157 en 800). Cette disposition présente donc des risques car elle a pour effet que les parties qui ont à l'époque conclu un contrat en tenant compte de l'immunité de l'agent d'exécution peuvent toujours être confrontées à la responsabilité de l'auxiliaire en cas de faute commise par un auxiliaire après l'entrée en vigueur de la loi.

Que peut-on faire contre l'élargissement de la responsabilité ?

Les commentaires sur le Livre 6 C. civ. qui apparaissent déjà ici et là signalent déjà que la possibilité de s'adresser directement aux auxiliaires est susceptible d'être utilisée pour accroître la pression sur le contractant proprement dit ou pour obtenir des informations supplémentaires en semant la discorde entre le contractant et son auxiliaire.

Toutefois, les dispositions du Livre 6 C. civ. sont de droit supplétif, sauf s’il résulte du texte ou de leur portée qu'elles ont, en tout ou en partie, un caractère impératif ou d'ordre public (art. 6.1 C. civ.). L’article 6.3, § 2 C. civ. précise également que la possibilité de s'adresser aux auxiliaires existe « sauf si la loi ou le contrat en dispose autrement ». Le Livre 6 C. civ. est dès lors conforme au droit en vigueur selon lequel les parties peuvent, dans une certaine mesure, exclure ou limiter leur responsabilité extracontractuelle par convention (EdM, projet de loi portant le Livre 6 « Responsabilité extracontractuelle » du Code civil, Doc. parl. 2022-2023, n° 3213/001, 16).

L'article 5.89, § 1er C. civ. confirme lui aussi déjà que les parties peuvent prévoir contractuellement que la responsabilité extracontractuelle est exclue en tout ou en partie, sauf dispositions légales contraires. Sont par exemple toujours réputées comme non écrites (art. 5.89, § 1er C. civ.) : les clauses qui exonèrent le débiteur de sa faute intentionnelle ou de celle d’une personne dont il répond, ou les clauses qui libéreraient le débiteur de sa faute ou de celle d’une personne dont il doit répondre, si cette faute porte atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’une personne.

Désormais, il faudra non seulement réglementer correctement la responsabilité contractuelle, comme c'était déjà le cas, mais aussi accorder une attention immédiate à la responsabilité extracontractuelle lors de la conclusion de contrats. Étant donné que le Livre 6 C. civ. s'appliquera également aux contrats existants, il convient de revoir dès à présent ces contrats existants, tant ceux conclus entre l'auxiliaire et le donneur d’ordre que ceux conclus entre le donneur d’ordre et la personne lésée, afin d'éviter des surprises ultérieures.

En premier lieu, nous pensons ici aux contrats entre un donneur d’ordre et ses clients, dans lesquels, d'une part, la responsabilité du donneur d’ordre vis-à-vis du client est limitée ou exclue, et dans lesquels, d'autre part, les actions extracontractuelles des clients vis-à-vis des auxiliaires peuvent également être limitées ou exclues.

Deuxièmement, il nous semble que les contrats entre le donneur d'ordre et son auxiliaire devraient également être examinés de près, comme par exemple les contrats de gestion. Ces contrats peuvent également prévoir dans une certaine mesure une limitation ou une exclusion de la responsabilité.

D'un autre côté, il sera désormais important, en tant que client, de vérifier attentivement les dispositions contractuelles afin de pouvoir préciser les droits propres du contractant sur les auxiliaires.

Conclusion

L'introduction du Livre 6 C. civ. constitue un élargissement de la responsabilité des auxiliaires. Dès son entrée en vigueur - dont la date prévue est le 1er janvier 2025, mais qui n'est pas encore certaine -, la quasi-immunité des auxiliaires sera levée. La personne lésée pourra choisir entre le donneur d’ordre et l'auxiliaire pour obtenir réparation de son dommage et pourra donc directement poursuivre l'auxiliaire sur une base extracontractuelle.

Pour les administrateurs, notamment, cela signifie donc qu'ils seront désormais dans le collimateur des parties contractantes des sociétés qu'ils dirigent.

Les auxiliaires pourront invoquer contre ces personnes lésées les moyens de défense qu'ils tirent du contrat entre la personne lésée et le donneur d’ordre, ou du contrat entre l'auxiliaire et le donneur d’ordre, ou de la loi.

Heureusement, le législateur laisse dans le Livre 6 C. civ. une certaine marge de manœuvre pour limiter ou exclure contractuellement la responsabilité extracontractuelle des auxiliaires.

Étant donné que les changements susmentionnés s'appliqueront également aux contrats existants, il convient non seulement de les anticiper dans les nouveaux contrats, mais aussi d'adapter les contrats existants.

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